La Première Restauration (Mai 1814 – Mars 1815)

Na imagem, Entrée du roi Louis XVIII à Paris, 3 mai 1814, au moment de son passage sur le pont Neuf, par Antoine Ignace Melling

Dès le mois de Mars 1814, et devant des invasions étrangères de plus en plus nombreuses, les maréchaux, les ministres, les parents de l’Empereur le supplièrent d’abdiquer en faveur de son fils, sous la régence de sa femme Marie-Louise. En Avril, et malgré quelques petits succès militaires, Napoléon abdiquera en faveur de son fils. Mais la coalition européenne, dominée par l’Empereur Alexandre Ier et par le ministre Autrichien Metternich, soutenus par l’Angleterre, refusa et ordonna à l’Empereur de quitter la France et de rejoindre l’Ile d’Elbe. Des honneurs royaux lui seraient accordés, sa famille pourrait le rejoindre, il aurait une garde personnelle. Mais, point fondamental, l’Europe exigeait le retour des Bourbons en la personne de Louis XVIII, ex-Comte de Provence, frère de Louis XVI, devenu prétendant au trône de France après la mort du Dauphin, Louis XVII, survenu en 1794.

À partir du 20 Avril 1814, toutes les troupes européennes (russes, prussiennes, autrichiennes, anglaises, saxonnes, hanovriennes, espagnoles) occupent la France et entrent à Paris. La réaction du peuple français est mitigée. D’une part, chacun se félicite de la fin de la guerre et du départ de l’Ogre, d’autre part, on s’interroge sur l’attitude des émigrés qui reviendront bientôt dans les fourgons de l’Europe et chercheront à reprendre privilèges et terres.

Pourtant, Alexandre Ier, entrant à Paris, se rend chez Joséphine, accompagné de Talleyrand, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Napoléon « l’homme le plus intelligent d’Europe » et de Fouché, ministre de la police, ancien Jacobin, maître de tous les dossiers et de tous les secrets. Joséphine, malade, mais toujours intelligente, conseille au Tsar de ne pas toucher aux grandes réformes que la Révolution et l’Empire ont apportées à la France. Elle ajoutera, avec un sourire « Si vous laissez à ces écervelés d’aristocrates la possibilité de toucher à la propriété des paysans, si vous touchez à la liberté de cette bourgeoisie qui vous accueille aujourd’hui, IL reviendra et tout recommencera. »

Fort des conseils de Joséphine, conseils qui sont aussi ceux de Talleyrand et de Fouché, Alexandre ordonne aux Alliés et à Louis XVIII de respecter les acquis de la Révolution et de l’Empire. « La France, même battue, n’est pas la Russie ou l’Autriche. En 25 ans, (1789 – 1814), la France a complètement changé. Nous devons en tenir compte. »

Louis XVIII, intelligent, fin politique, ambitieux, avait bien compris la leçon. Troisième fils du Grand Dauphin, le futur Louis XVIII, connu sous le nom de Comte de Provence, a eu, pendant toute sa vie et surtout après le 14 Juillet 1789, le désir fou de régner à la place de son frère, puis de son neveu le petit Louis XVII, puis de Napoléon. Prince exilé depuis 1789, mal reçu par ses frères, les autres rois d’Europe, en dépit de tout et de tous, il maintint une volonté de régner. Jamais il ne connut le doute sur sa légitimité ou sur son destin, Talleyrand le saluant en Mai 1814 par ces mots : Sire, vous êtes enfin Roi. » Louis XVIII lui répond : Sachez, Monsieur de Talleyrand, que je n’ai jamais cessé de l’être ». Il datait, en Mai 1814, toutes ses lettres par ces mots « En ce jour de la 19ème année de mon règne. » Plaçant son règne, au moment de la mort de son neveu Louis XVII. Imbu de la majesté royale depuis son enfance, il n’en était jamais sorti. Mais sa fuite devant Napoléon, en Mars 1815 lui donne alors le sens des réalités. Très intelligent, fin, malicieux, il vivait loin des coquetteries. Obèse, il ne jouait pas au Don Juan. Se contentant de ses pouvoirs, il comprit que le monde avait changé, que la France avait changé. Arrivé à Paris, il voulut s’installer aux Tuileries et non à Versailles, pour bien montrer à tous, que l’époque de la monarchie Absolu de Versailles était terminée. Il voulut aussi accorder au Peuple Français une Charte, véritable Constitution, pour définir les droits des français de jouir des conquêtes de la Révolution et de l’Empire. Il s’entoura de ministres comme Talleyrand et Fouché qui avaient été révolutionnaires et bonapartiste, mais qui, aujourd’hui, désiraient collaborer à la reconstruction de la France, sous l’autorité d’un Bourbon.

Malheureusement, dès le mois de Juin 1814, les pillages, les vols, les viols, les assassinats commis par les troupes prussiennes et autrichiennes dans les territoires occupés, soulevaient partout des révoltes locales. D’autre part, l’arrivée des émigrés (aristocrates français qui avaient vécu difficilement pendant 25 ans à l’étranger) déclencha partout une angoisse. Leurs attitudes (arrogance, cupidité, snobisme, ironie etc.), leurs propos (vengeance, réparations) suc citent partout le mécontentement. Le peuple (bourgeoisie, paysannerie propriétaire) comprend que les intentions du monarque ne seront pas suivies. À Partir de Juillet-Août, on craint le pire, d’autant plus qu’à Vienne, où l’Europe siège pour préparer une nouvelle Europe sans Voltaire, mais avec Dieu, les Grands (Angleterre, Prusse, Autriche, Russie) sont divisés (Angleterre, Russie pour une France moderne, Prusse Autriche pour revenir à la France de 1789). Talleyrand, dépêchés par Louis XVIII, cherche la conciliation, le compromis et jette de l’huile sur le feu de la division. Très lié à l’Angleterre, Talleyrand pense arriver à rétablir la situation (Carême), mais Metternich veille. Son idée fondamentale est d’affaiblir la France, de surveiller la Prusse et la Russie et d’offrir à l’Angleterre des colonies, afin que l’Autriche puisse jouir d’une liberté d’action. Appuyé par la Papauté, Vienne veut devenir la capitale d’une Europe croyante, disciplinée, où les classes sociales se respectent sous la protection divine.

Effectivement, le Congrès de Vienne, entre Septembre et Décembre 1814, en apparence, suivra les directives de Metternich. En apparence, car l’Angleterre de Castlereagh et de Pitt, la France de Talleyrand et la Russie d’Alexandre se sont entendues pour ne pas suivre Metternich et Blücher (Prusse). La division s’est encore accentuée et à la veille du Réveillon du 31 Décembre 1814, à l’Ambassade de Russie, ou la crème de la crème du Congrès de Vienne doit se retrouver, Talleyrand pouvait écrire à Louis XVIII « : nous sommes prêts à signer une alliance avec nos amis. »

Or, Napoléon, à l’Ile d’Elbe, suit les événements de très près. Ses partisans exagèrent un peu le degré d’opposition à Louis XVIII. Cependant, ils insistent tous sur le fait que si l’Empereur revenait, il devrait abolir les décrets de l’Empire autoritaire et rétablir les libertés de la République, afin de conquérir l’appui populaire. Comme toujours, et poussé par son ambition et son orgueil, Napoléon Bonaparte va plus loin. Il se retrouve Jacobin, ami de Robespierre, prêt à rétablir une France démocratique. Il fait appel secrètement à Carnot, à Benjamin Constat, aux anciens consuls, dédaignent les maréchaux qui l’ont trahi. Il prépare minutieusement son retour en France pendant tout le mois de Janvier 1815. Sur conseil de ses amis, il écarte un débarquement près de Marseille, évitant ainsi la vallée du Rhône qui ne lui est pas favorable, Il débarquera avec une petite troupe de protection à Fréjus. De là, il essayera de gagner Grenoble par la route des Alpes, puis cherchera à gagner Lyon. Et marchera alors sur Paris.

A Vienne, comme à Paris, on vit dans l’euphorie, dans l’optimisme béat (à part quelques observateurs anglais et Beethoven, Fouché, Alexandre etc.). Pour Talleyrand qui a tissé sa toile d’araignée d’intrigues, la victoire est proche. Et brusquement, par un beau matin de Février 1815, on apprend le débarquement de Napoléon à Fréjus, sa marche dans les Alpes, le ralliement de Ney et de toutes les troupes françaises à l’Empereur, sa marche triomphale vers Paris, son entrée dans la capitale, la fuite de Louis XVIII, de ses ministres, des émigrés, la retraite des troupes alliées, attaquées par les paysans, bref un succès complet de Napoléon et une défaite cinglante de l’Europe de Vienne et surtout des Bourbons. Comment expliquer un tel retournement de la situation : si ce n’est par l’aveuglement des privilégiés, qui se gargarisant de propos optimistes, n’entendent rien, ne voient rien, ne parlent de rien si ce n’est de leur intérêt immédiat, Vision égoïste, égocentrique, arrogante, sans le moindre esprit critique.

Toutefois, la personnalité de Napoléon Bonaparte, ses propos démocratiques assez douteux, sa folle ambition font peur à l’Europe et surtout à l’Angleterre. La coalition se refait immédiatement et c’est l’Angleterre qui prend la direction réelle de la diplomatie de la coalition, avec une rectification : les Bourbons n’ont aucun pouvoir, les émigrés sont des écervelés, mais le peuple français est dangereux. Il s’agira de punir ce peuple à qui on a fait confiance. Ici, les Anglais rejoignent les Prussiens pour une politique de répression. Quant à la Russie, elle s’enferme dans un mutisme et Alexandre laisse alors à Metternich le soin de régler les conclusions sur l’Europe, d’autant plus que, tombant dans une crise de mysticisme, Alexandre affirme que l’Europe et le Monde seront sauvés par une Sainte Alliance qui rétablira les vraies valeurs et fera oublier les erreurs de la Philosophie des Lumières.

En réalité, à partir de Mai 1815, les Alliés se préparent à une guerre qu’ils veulent définitive avec Napoléon et la France. De plus en plus, ce sont les généraux qui, non seulement, commandent leurs armées mais dirigent aussi la politique à l’égard de la France. En Angleterre, Castlereagh laisse à Wellington le soin de régler les grands problèmes français. Celui-ci est très lié à Talleyrand et à Fouché qu’il considère comme les deux piliers de la future monarchie des Bourbons. Quant aux Autrichiens, Metternich est maintenant dépassé par les opérations militaires où les Autrichiens ne joueront qu’un rôle secondaire. Le Roi de Prusse, lui, fait une entière confiance à ces trois généraux, qui ont préparé la renaissance de l’armée prussienne, après la défaite de Iéna, à savoir : Blücher, Gneisenau et Scharnhorst. Les trois sont animés d’un esprit anti-français et cherchent une revanche, Alexandre, lui, a connu depuis quelques mois une transformation totale : élève du philosophe La Harpe, Alexandre avait été disciple de la Philosophie des Lumières, et surtout de Rousseau. L’ÊTRE SUPRÊME avait été son culte. Pourtant, faible de caractère, il se reproche sa trop grande amitié pour Napoléon et tombe dans une dépression. Assailli par des remords pour avoir tué son père Paul Ier, il cherche un appui qu’il trouve chez Mme De Krudener, mystique, romantique, passionnée, auteur d’un roman à succès Valéry. Cette femme croyait aux visions mystiques, aux anges qui peuplent notre monde. Ainsi pour elle, Napoléon était un Ange Noir et Alexandre l’Ange Blanc qui devait vaincre son adversaire l’Ange Noir. Loin de flatter Alexandre, elle le gronde, lui reproche ses faiblesses ou bien encore ses aventures. Elle lui offre des visions mystiques auxquelles l’Empereur de Russie se laisse prendre. Dès lors, Alexandre se lancera dans une croisade contre l’esprit critique, contre la raison raisonnante. Mais l’armée russe, elle aussi, ne jouera aucun rôle dans la dernière bataille Waterloo et Alexandre, en arrivant en Juillet 1815 à Paris, ne trouvera plus son amie Joséphine et tombera sous le pouvoir de Mme. Krudener. Dans des rencontres nocturnes à l’Hôtel de Montchenu, Alexandre suivra les conseils de celle qu’il considère, maintenant, comme son directeur de conscience. Le Congrès de Vienne, qui reprend ses travaux en Août 1815, sera influencé par Alexandre et finiras par accepter la Sainte Alliance, sous les regards ironiques de Castlereagh, de Metternich et de Talleyrand.

À titre de simple information, officiellement Alexandre Ier mourra en 1825. Pourtant, le moine Fedor Kousmich, qui lui ressemblait énormément, finira sa vie comme un saint, en 1844. Pour de nombreuses personnes à cette époque Alexandre Ier avait suivi les conseils de Mme Krüdener et quand les soviétiques en 1921 ont ouvert les tombeaux des Tsars, ils ont découvert que celui d’Alexandre Ier était vide…

Par Alexandre A. E. Roche

Cours de Civilisation -2009-2

Les hommes d’Etat français au XIXe et XXe siècle